Ses œuvres traversent les générations et s’érigent en repère pour toutes les âmes artistiques tombée sous le charme de cet art qu’est le rap. Sa trajectoire s’achemine au-delà d’une simple histoire musicale : il incarne une génération, un héritage et une vision claire. Pit Baccardi est une figure emblématique de la scène musicale francophone.
Durant 25 années, il a su tracer sa route avec la même passion, se démenant de Paris à Yaoundé, de la rue à la scène, du kickage à l’enseignement. Du collectif mythique Time Bomb à ses albums en solo, en passant par son rôle de bâtisseur pour la scène africaine, il n’a cessé de se réinventer sans jamais trahir son essence. Sa carrière est un voyage où chaque étape reflète la fidélité à ses principes et l’audace d’explorer de nouveaux horizons. L’humain est au cœur de ses actions et il centralise tous ses efforts vers une symbiose totale entre toutes les âmes qui l’entourent. Aujourd’hui, en célébrant ce quart de siècle d’activités, Pit Baccardi ne regarde pas seulement derrière lui : il continue d’ouvrir la voie pour celles et ceux qui rêvent de faire de la musique un langage qui traverse le temps.
Né au Cameroun et grandi en France, Pit Baccardi s’impose dès la fin des années 1990 au sein du collectif Time Bomb, véritable condensé de talents du rap français. Rapidement, il se distingue en solo par une plume à la fois introspective et engagée, marquée par des albums devenus des références pour toute une génération. Si son apogée artistique s’ancre dans les années 2000, avec des titres qui résonnent encore aujourd’hui, Pit Baccardi ne s’est jamais contenté de briller seul.
De retour en Afrique, il prend le rôle de bâtisseur et de mentor, accompagnant l’émergence d’une nouvelle scène rap au Cameroun et sur le continent. Artiste et producteur, il incarne désormais le trait d’union entre scène musicale africaine et enjeu lucratif.
A la suite de l’annonce de son concert anniversaire arrivant le 25 septembre prochain, nous nous sommes engagés dans une discussion ouverte, naviguant entre ses débuts de carrière jusqu’à son activité actuelle de formateur.
ENTREVUE EXCLUSIVE
RSA: Quel bilan tires-tu de ton année 2025 jusqu’ici ?
PIT BARCARDI: « Mon année 2025 est remplie de surprise. Il y a eu tellement de péripéties et dès le mois d’avril je viens à Paris pour y annoncer mon Olympia de septembre. Donc les allers-retours entre Abidjan et Paris sont moins judicieux étant donné la campagne promotionnelle qui est en cours. Sachant que pour la petite précision, je vis à Abidjan aujourd’hui. Je me rends compte que ma présence musicale se doit d’être à Paris pour accompagner l’engouement existant autour du concert. Ça a rendu les choses intéressantes. Donc pas mal de surprises en cette année 2025. »
RSA: A l’aube de ton concert anniversaire à l’Olympia célébrant 25 années de carrière musicale, quel regard portes-tu sur le parcours accompli ?
PIT BACARDI: « C’est un parcours jonché de beaucoup de choses, de belles comme de mauvaises, mais qui m’auront permis d’acquérir une certaine expérience, une sagesse, de grandir et d’avoir la maturité sur l’orientation que je veux donner à ma carrière et ma vie en général. Donc je n’en tire que du positif et j’essaie justement de conserver cette dynamique positive et constructive quoi qu’il arrive. De transformer le négatif en quelque chose de bien, en quelque chose qui peut m’apporter, qui peut m’apprendre. Aujourd’hui, je vis la possibilité de faire cette Olympia et d’avoir la prétention de faire de la musique 25 ans après mes débuts. Je prends cela comme une bénédiction. Quand tu vois à quel point la musique a changé, les codes ont changé, il y a eu une sorte de remplacement de grande envergure et malgré ça j’arrive encore à tirer mon épingle du jeu et susciter un intérêt. Donc je ne peux que voir les choses de manière dithyrambique et bonne. Je suis reconnaissant et tout ce que je vis là aujourd’hui je prends ça comme un bonus. »
RSA: Penses-tu qu’il existe un parcours post carrière type ?
PIT BACARDI: « Il ne faut pas envisager sa carrière musicale de manière uniforme. Tu es rappeur mais ta carrière elle peut être multiforme. Tu as des mecs comme Ice Cube par exemple aux États-Unis qui sont à la fois producteur, acteur, et homme d’affaire. Jay-Z pareil. Ils arrivent à se diversifier et ça nourrit en quelque sorte leur âme d’artiste. C’est comme ça que j’ai envisagé les choses pour ma part. En prenant en compte le remplacement de la scène musicale, je me demandais « Ok, comment je peux faire pour rester impactant ? ». Ma préoccupation c’est comment j’impacte dans la vie des autres. C’est la raison pour laquelle j’aime faire de la musique à la base. Quand tu fais une chanson et qu’un mec vient te voir en disant « écoute, ton album m’a permis de surpasser une épreuve dans ma vie » ou une mère de famille vient te voir en disant « ta chanson je la fais écouter à ma fille et ça a amélioré mes rapports avec elle » c’est une victoire pour moi. A chaque étape de ma carrière, mon seul but est de rester impactant peu importe ma position. Que ce soit lorsque je me suis orienté vers la production ou après chez Universal. »
RSA: Tu as fait une partie de ton enfance au Cameroun. Comment penses-tu que ce lien que tu as su entretenir entre tes deux pays t’a aidé à fortifier ton image artistique et l’homme que tu es aujourd’hui ?
PIT BACARDI: « Ce sont deux cultures différentes. Je suis né au Cameroun et j’y ai grandi pendant une partie de mon enfance. Je suis ensuite revenu en France mais le temps passé là-bas était suffisant pour acquérir une véritable identité camerounaise, mélangée petit à petit à une identité française avec tout son environnement et sa complexité. C’est tout ça qui nourrit mon intellect et mon inspiration musicale. Cette double culture aiguise mon ouverture d’esprit. En tant qu’artiste, plus nous sommes alimentés par différentes cultures, mieux c’est. Parce que la musique c’est le reflet de l’âme. En faisant de la musique, tu construis des âmes, tu nourris des âmes, tu soignes des âmes. Ce qui fait par exemple la force des artistes d’Afrique anglophone c’est que leur culture impacte le monde. Ça crée des ponts incroyables et ça met de la lumière sur notre continent. »
RSA: Quel a été ton premier rapport avec la musique et les artistes qui t’ont marqué dans ta jeunesse ?
PIT BACARDI: « J’écoutais pas mal d’artistes camerounais que ce soit Ben Decca, Sam Fan Thomas, Manu Dibango et même nos célèbres chanteuses comme Anne-Marie Nzié. Notre premier rapport à la musique vient de nos parents, de nos aînés. Tu écoutes la musique que tes parents te transmettent. J’ai toujours gravité autour de la musique parce que mon père était musicien aussi et c’est d’ailleurs lui qui nous a transmis à Dosseh et moi cet amour pour la musique. Il faisait du piano et jouait dans un orchestre à l’époque quand il était au Cameroun. On a baigné dans ça. »
RSA: Tu fais partie d’une génération qui se démarquait notamment par une facilité à livrer des freestyles impactant (notamment avec l’écurie Time Bomb au côté d’Oxmo Puccino). Quel est ton point de vue sur cet art du freestyle qui peut avoir tendance à se perdre aujourd’hui ?
PIT BACARDI: « Comme nous le pratiquions à l’époque, le freestyle c’était comme un sport. Tu devais retenir tes chansons, travailler ta mémoire, avoir une performance impactante sur chaque lyric. Le but du freestyle c’est ça. Et nous à l’époque c’était très littéraire. Donc il y avait une sorte de travail scolaire qui nourrissait ton intellect. C’était physique et intellectuel. Ça te forçait à te surpasser. »
RSA: Quel est ton sentiment sur la scène musicale actuelle et son rapport avec la consommation de musique ? –
PIT BARCARDI: « La musique reste le produit de son environnement. Chaque époque de rap correspond à une température politique, sociale, sociétale, sociologique, économique. En fonction de ce que la société inspire au moment où le rap est créé, alors les textes sont miroir de cet environnement. Quand tu regardes les premières générations, elles n’avaient pas autant de distraction qu’aujourd’hui. Et quand tu observes l’évolution de la société, c’est la génération internet. C’est une source de distraction permanente. Ton attention est éparpillée un peu partout et cette importance de prendre le temps nécessaire pour se cultiver se perd. Il y a beaucoup plus de légèreté dans les sujets du quotidien et ce besoin de popularité sur les réseaux sociaux en fait partie. Donc ça impacte ton art directement. Une fois qu’on te montre que la légèreté peut te faire atteindre des cieux économiques ou de visibilité, pourquoi veux-tu que les artistes d’aujourd’hui s’encombrent à écrire des choses poussées ? Mais non le rap ce n’était pas mieux avant. Tu ne peux pas empêcher les nouvelles générations de vivre leur époque, de vivre leur jeunesse. Et ainsi de suite. La musique se fait en fonction de l’époque dans laquelle on vit, et c’est à chacun d’entre nous de se complaire dans la proposition musicale de l’artiste de notre choix. Il y a des nouvelles propositions dans lesquelles je trouve mon bonheur parce que mes attentes ne sont pas celles que j’avais avant. Si je suis nostalgique des émotions que me procuraient les années 90, j’écoute un mec des années 90 ou j’écoute un album des années 90 et c’est aussi simple que ça. »
RSA: Tu rejoins le collectif Secteur A en 1999. Comment tu définirais-tu le paysage musical rap francophone à cette période-là ? –
PIT BACARDI: « Il y a toujours eu de la compétition dans le rap. Il y a toujours eu de la division. Il y a toujours eu tout ce qu’on peut reprocher aujourd’hui. Ça n’a jamais changé. »
RSA: Que retiens-tu de cette épopée avec Secteur A, que tu as donc rejoint quatre ans après la création du collectif ? –
PIT BACARDI: « Faire partie du secteur A m’a fait rentrer dans une autre dimension. Time Bomb était plus une dimension artistique. La dimension business n’était pas la plus représentative. Quand je rentre chez Secteur A il y a la dimension artistique et la dimension business qui entre en jeu, donc mainstream. Ce sont deux écoles différentes mais complémentaires. C’est la meilleure chose qui pouvait m’arriver à ce stade de ma carrière. Je commence à gagner beaucoup d’argent et gérer ces aspects de ma carrière. Ce n’est que du positif. »
RSA: Comment as-tu vécu le succès de ton album « Pit Baccardi », certifié disque d’or et considéré comme une œuvre notable du rap français ?
PIT BACARDI:« L’appréciation de mon album est intervenue des années après pour moi. Naturellement je vends des disques et j’ai des certifications mais je ne sais pas ce que c’est en vrai. Je sais que j’ai fait des titres, que je peux faire des concerts, que je gagne de l’argent etc mais je ne mesure pas l’impact de ce disque. Ma réelle première appréciation de mon succès à l’époque est liée au matériel. Des gens me voient toujours et disent « c’est Pit Baccardi il nous a livré un classique ». Mais j’ai pris conscience de cette aura bien des années après. »
RSA: Tu cumules la casquette de rappeur et également celle de producteur. Comment parviens-tu à gérer ces deux aspects ? –
PIT BACARDI: « Ma carrière de producteur a réellement commencé lorsque j’ai créé Empire Compagnie. On était producteur avec Première Classe mais je n’étais pas opérationnel. J’étais producteur de nom et on avait une structure ensemble, mais je ne faisais pas vraiment les choses en tant que producteur. Donc cette nouvelle dimension a commencé en 2010 lorsque j’ai créé mon propre label. »
RSA: Comment s’est effectuée cette transition de pionnier du rap français vers la création de ton propre label au Cameroun ?
PIT BACARDI: « Cette transition est à mettre sur le compte de la sagesse et l’humilité. Le seul moyen pour moi de réussir une carrière de producteur, c’est de tuer la dimension égocentrique de Pit Baccardi. Donc d’accepter que Pit Baccardi n’existe plus. Il n’y a que comme ça que j’ai la capacité de me de me rabaisser. Quand je dis rabaisser, ce n’est pas qu’on me marche dessus, mais d’appréhender les choses comme une personne lambda qui décide de créer nouvelle entreprise. Et il n’y a que comme ça que j’aurais pu réussir. Si je m’étais positionné en tant que Pit Baccardi au moment où je fais cette transition, j’aurai pris le risque d’entrer dans des problèmes d’ego avec les artistes que je produisais. Donc pour pouvoir le faire, il a fallu que j’accepte que ce soient mes artistes les stars, et non moi. Je suis à leur service. C’est ça la nouvelle optique. Le Pit Baccardi producteur nourrit le Pit Baccardi artiste d’aujourd’hui. En allant au Cameroun, je savais que je me rendais sur un territoire où le challenge était attractif notamment en produisant des artistes locaux, créer une dynamique, un écosystème etc. Je trouve que le jeu en vaut la chandelle. »
RSA: Quel constat dresses-tu sur le rapport au streaming dans le continent africain ? –
PIT BACARDI: « C’est un retard structurel en tout point de vue. Dans certaine partie du continent, la consommation d’internet reste un luxe. Ce n’est pas encore ancré dans le quotidien de tous. Un mec dont la priorité est de se nourrir ne va pas aller acheter de la data pour streamer. Si je fais un parallèle direct avec l’occident, on est sur deux réalités différentes. C’est au fur et à mesure des années que tu vois des choses se mettre en place. Il faut tout un écosystème pour que les artistes locaux aient la capacité de pouvoir vivre de leur musique sans avoir comme ambition de s’exporter en Occident pour y parvenir. Donc c’est un chantier qui a commencé à se mettre en place. »
RSA: Le SIMA incarne ton nouveau quotidien depuis deux ans. Peux-tu nous en dire davantage sur le SIMA et son objectif ?
PIT BACARDI: « J’ai créé le SIMA avec Mamb Diomandé un de mes amis chez Universal. On s’est rendu compte que ce n’était pas la major qui était la solution à toute cette problématique mais qu’il y a besoin de créer un environnement structuré de toute part. C’est à dire qu’il faut des indépendants, des juristes, des managers, des médias, des subventions, du politique etc. Un environnement global. Aujourd’hui le SIMA fait partie de mes nouvelles activités. On a fait la première édition il y a 2 ans. L’année passée on a fait des formations sous l’impulsion du programme intitulé Boost by SIMA. L’idée étant de former des jeunes volontaires sur des fonctions essentielles autour des métiers de la musique (chanteurs, managers, producteurs, etc….). Je fais donc partie des formateurs. J’ai été formé moi-même au centre national de la musique (CNM). Le fait de connaître la musique ne me donne pas une approche pédagogique de la chose. Il faut apprendre à expliquer ton métier à un apprenant. Donc c’est un peu ça l’activité du SIMA, entre autres. Nous nous devons d’apporter des solutions pour que l’environnement musical africain soit plus lucratif. La raison pour laquelle les sièges d’Universal, Sony ou encore Warner sont en Côte d’Ivoire est qu’il y a beaucoup de choses qui se font autour de la musique. Il y a une volonté étatique. L’État s’implique réellement sur le sujet. Le but est de faire de la Côte d’Ivoire une sorte de hub culturel, donc qui dit culture dit musique. »
RSA: Comment décrirais-tu ton expérience de Directeur du publishing pour la branche Afrique francophone chez Universal Music ? –
PIT BACARDI: « Ça m’a permis de voir une autre approche du management car j’ai toujours été indépendant. Je n’ai jamais eu d’autorité au-dessus de moi. Je n’ai jamais été dans cette structure ou cette routine stricte où je dois me lever à 9h, aller au bureau etc. Donc c’était un apprentissage. J’ai pu acquérir certaines aptitudes, et je gère les relations humaines différemment maintenant. Je me suis rendu compte qu’en indépendant, j’étais parfois très autoritaire vis-à-vis de mes artistes mais ma position était différente car j’étais le seul actionnaire et responsable des dépenses de manière globale. Être dans une major m’a permis de vraiment relativiser. Ça n’enlève pas les caractéristiques des relations entre producteur et artiste, mais d’avoir un certain recul et de dépassionner son point de vue. »
RSA: Quels sont les artistes qui attirent particulièrement ton attention aujourd’hui ?
PIT BACARDI: « Il y en a beaucoup que j’apprécie et pour différentes raisons. Par exemple Himra, que j’avais signé chez Dev Jam, m’a mis une claque incroyable. Il se démarquait vraiment par son abnégation et ce depuis longtemps. Son succès actuel est entièrement mérité. J’aime bien Didi B également, Suspect 95 et même Syndika. Au Cameroun également j’apprécie l’artiste Cysoul.
RSA: Que pouvons-nous te souhaiter pour la suite ?
PIT BACARDI: « La santé avant toutes choses bien évidemment. La réussite de mon Olympia et de mon prochain projet qui sortira après l’Olympia. Je n’ai pas encore la date de sortie mais l’annonce interviendra bientôt. Et pour finir de me souhaiter beaucoup d’années de vie, d’énergie, d’inspiration pour continuer de sortir des titres et produire des jeunes artistes. Ma volonté première sera toujours de faire exister. C’est ce partage d’âme qui est essentiel au quotidien. Il faut que nous revenions à des choses un peu plus humaines et c’est là le leitmotiv de mon concert. Je veux que ce soit une célébration d’amour, de partage de musique et d’énergie